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LES EXILÉS


C’est l’abri sourcilleux que la nature enchaîne
À la bouche des flots tordus par les autans ;
C’est la nuit du ravin ; c’est le tronc noir du chêne
Meurtri par le tonnerre et creusé par le temps.

C’est l’antre d’où l’on voit courir les blanches voiles
Dans les flocons d’écume et sur le gouffre amer ;
C’est la caverne au front baisé par les étoiles,
D’où l’on entend gronder et sangloter la mer !

Ma famille, ce sont tous ces pâles convives
Qui, n’ayant pas eu faim du terrestre repas,
Tremblent comme des lys au bord des sources vives,
Et qui ne filent pas et ne travaillent pas !

C’est vous, poètes forts que les épines blessent,
Vous qui sur tous les maux tenez vos fronts penchés,
Et dont les mains, toujours vierges et blanches, laissent
Une odeur d’ambroisie à ce que vous touchez !

C’est vous chez qui la grâce a conservé son culte,
Statuaires, démons obstinés et chercheurs,
Fiers de vivre éperdus pour un art qu’on insulte,
Dans l’éblouissement lumineux des blancheurs !

C’est vous tous dont le pied bondit sur les rivages,
Et qui dans les buissons où rit une clarté,
Cueillez en même temps que les mûres sauvages
Ce fruit des grands chemins qu’on nomme liberté.