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LES EXILÉS


C’est le vieux mendiant farouche, qui s’enivre
De la sierra vermeille et du ciel espagnol ;
C’est toi dont le parfum m’encourageait à vivre,
Rose de la montagne, et c’est toi, rossignol !

C’est vous, derniers amants de la lyre assassine,
Pauvres comédiens, qui le long du coteau
Emportez au soleil Marivaux et Racine,
Sous le manteau riant que vous donna Wateau !

Idoles aux beaux yeux, c’est vous ! dont le poète
Consolera pendant toute l’éternité
La beauté sculpturale et grandiose, faite
Pour l’infamie, ou bien pour la divinité.

Vous roulez au ruisseau, race éclatante et rose !
Dans les jours de cet âge aveugle et sans essor,
Qui ne se hausse pas jusqu’à l’apothéose
De vos fronts de lumière et de vos tresses d’or !

Il vous jette à l’enfer plein d’ombres sépulcrales,
Parce qu’il ne saurait, dans son dédain jaloux,
Allumer sur vos fronts les clartés sidérales !
Venez, je vous le dis, ma famille c’est vous.

Victime aux longs cheveux, muse, beauté, génie !
Grande vierge promise au supplice immortel,
C’est toi que chaque jour, comme une Iphigénie,
Le couteau du grand prêtre égorge sur l’autel !