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LES EXILÉS

Sur ce couple privé du guide essentiel,
Et cependant mordu par l’appétit du ciel,
Et se ressouvenant, en sa splendeur première,
D’avoir été pétri de fange et de lumière ;
L’être vil ne pouvant cesser d’être divin ;
Le malheureux noyant ses soucis dans le vin,
Mais sentant tout à coup que l’ivresse fatale
Ouvre dans sa cervelle une porte idéale,
Et, dévoilant l’azur pour ses sens engourdis,
Lui donne le frisson des vagues paradis ;
Le libertin voyant, en son amer délire,
Que l’ongle furieux d’un Ange le déchire,
Et le force, avivant cette blessure en feu,
À traîner sa laideur sous l’œil même de Dieu ;
La Matière, céleste encor même en sa chute,
Impuissante à créer l’oubli d’une minute,
Pâture du Désir, jouet du noir Remord,
Et souffrant sans répit jusqu’à ce que la Mort,
Apparaissant, la baise au front et la délivre ;
Ô mon âme, voilà ce qu’on voit dans ce livre
Où le calme songeur qui vécut et souffrit
Adore la vertu subtile de l’esprit ;
Voilà ce que l’on voit dans ces vivantes rimes
Où Baudelaire, épris de l’horreur des abîmes
Et fuyant vers l’azur du gouffre meurtrier,
Dédaigne de descendre au terrestre laurier ;
Dans cette œuvre d’amour, d’ironie et de fièvre,
Où le poète au cœur meurtri penche sa lèvre