Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/29

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Pourtant, nul en passant ne regarde sa bouche
Et n’a d’attention pour sa beauté farouche ;
Et le mépris de tous est jusques-là poussé,
Qu’un spectateur naïf ou désintéressé,
En voyant tout ce monde à sa gloire insensible,
Croirait qu’elle est absente ou qu’elle est invisible.
Véronique, dont nul ne voudrait s’approcher,
Est seule comme un lys éclos sur le rocher.
Elle va, détestée et pour tous importune,
Et regarde le flot humain, comme un Neptune
Dénombre le troupeau des vagues de la mer,
Et parle en elle-même avec un rire amer.
Oh ! dit-elle, voilà tout l’illustre cortège,
Les vieillards vénérés aux fronts couverts de neige,
Les ministres pensifs que l’on n’ose prier,
L’artiste et le poëte épris du noir laurier,
Les juges que la Loi vengeresse illumine
Sous la sanglante pourpre et sous la blanche hermine,
Les purs et dédaigneux soldats qui, sans remord,
Frappent, et vont s’offrir aux gueules de la mort,
Les orateurs au geste ardent, au cœur de pierre,
En qui parle et renaît l’âme de Robespierre ;
Voici tous les héros, tous les vainqueurs, tous les
Meneurs d’hommes, fouaillant un peuple de valets,