Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/30

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Que cette foule emporte, ainsi qu’un flot d’orage.
Or, entre eux tous, il n’en est pas un seul, ô rage !
Qui, même d’un clin d’œil ou d’un regard distrait,
Me verrait sur sa route et me reconnaîtrait.
Tous marcheraient sur moi, haïe et réprouvée,
Sans pitié, comme sur une chienne crevée.
Et cependant, avec des airs insidieux,
Il n’en est pas un seul, parmi ces demi-dieux
Dont le renom vermeil dans la gloire se dore,
Qui ne m’ait dit : Mon cher Belzébuth, je t’adore !
Et je les ai tous vus qui, par terre accroupis,
Se roulaient comme des bêtes, sur mes tapis.
Il n’est pas un d’entre eux qui, retenant son souffle
Et rugissant d’amour, n’ait baisé ma pantoufle
Et qui, tordant ses yeux où meurt une lueur,
N’ait respiré mon âme atroce et ma sueur,
Et pour me plaire, ayant à ses lèvres l’écume,
N’ait pris des petits noms de bête et de légume !


Lundi, 21 février 1887.