Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/50

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Et le guide, en rêvant sous les ombrages verts.
En marchant, il récite à voix basse des vers,
Puis il rentre, bercé par l’extase rhythmique,
Et ses larges poumons emplis d’air balsamique.
Parfois dans son œil bleu passe un éclair soudain.
Au milieu des rosiers de son petit jardin,
Il s’enivre du vent qui murmure et qui pleure :
Il écoute là-bas Jacquemart sonner l’heure.
Il se repose à l’ombre épaisse d’un tilleul,
Et son livre à la main, pensif, car il est seul,
Il songe, il boit le vin farouche de l’Histoire.
Il a vu le mensonge heureux, la fausse gloire,
Et ne convoite rien de tous ces biens volés.
Sa femme et ses enfants, chers spectres envolés,
Seront toujours vivants en lui, mais il soupire.
Il lit Pindare, il lit Homère, il lit Shakspere.
Le malheur chez lui trouve un assuré secours.
Il sait que les désirs et les espoirs sont courts ;
Il vit tranquille, doux, très bon, l’âme hautaine,
Et près de sa maison murmure une fontaine.


Dimanche, 17 juillet 1887.