Page:Banville - Dans la fournaise, 1892.djvu/54

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Pleins d’une rage sourde et remâchant leur fiel,
Petits, ils t’admiraient comme un archer du ciel
Lançant tes flèches d’or sur les marais immondes,
Ou portant dans ta main, comme Dieu fait des mondes,
L’idéal grandiose et la réalité,
Génie entré vivant dans l’immortalité.
Mage qui dans les cieux mystérieux sus lire,
Faisant parler, chanter, frémir toute la Lyre,
Évoquant dans ta voix les crimes, les bourreaux,
Les baisers, tout un peuple effrayant de héros,
Tu nous rendais, parmi nos pleurs et nos désastres,
En un tas d’odes, plus nombreuses que les astres,
Les Pindares et les Eschyles disparus,
Et ne pouvant plus rien ici-bas, tu mourus.
Les Zoïles bouffons, dont le front vil rougeoie,
En hurlèrent alors de colère et de joie ;
Ils crièrent, montrant leurs appétits flagrants :
À présent qu’il n’est plus, nous pouvons être grands.
Puisqu’il prenait nos parts d’orgueil et de lumière,
Brillons ! notre place est à présent la première.
Nous serions comme lui bientôt, si nous voulions.
Frères, être un berger d’aigles et de lions,
Un Hugo, ce n’est pas du tout la mer à boire :
C’est un peu de génie avec un peu de gloire,