Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/45

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ses fleurs roses ; une légère brise caresse les frêles et tendres feuilles vertes ; les ruisseaux rajeunis semblent rouler un flot né d’hier ; les oiselets chantent avec ravissement ; toute la nature, en proie à la contagieuse folie du renouveau, s’extasie en doux et furtifs sourires, et savoure silencieusement cette heure adorable. Marguerite a treize ans. Déjà grande, comme les filles de sa race, elle marche avec un air de jeune reine. Ses traits sont nobles en leur grâce enfantine ; mais sur sa joue mille roses jettent leur folle pourpre, et le vent dérange avec espièglerie les bandeaux lisses de ses cheveux châtains.

Paul, lui, est déjà un homme ; il a quinze ans. Grand lecteur de poésies, il a appris de ses chanteurs aimés de très belles phrases, qui évidemment se rapportent à sa cousine, la seule femme qui, pour lui, existe. Tout cela, il brûle de le lui réciter, de le lui dire, et il faut aussi qu’il la compare aux étoiles, aux lys, aux rossignols, aux diamants, à la gloire enflammée des roses, à tout ce qu’il y a de plus divin sur la terre et dans le ciel. Pour tout dire, comme il part demain pour regagner la prison, l’abominable collège, il a pris son cœur à deux mains : il s’est promis de faire à Marguerite une déclaration. Et cette déclaration, Marguerite l’attend ; elle sent bien que l’heure est venue, et que Paul va murmurer à son oreille des paroles non entendues encore. Voilà pourquoi tous les deux se taisent avec un embarras délicieux, se recueillant, elle pour écouter, lui pour parler.

Mais à ce moment-là, sans qu’ils l’aient voulu et cher-