Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/64

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qu’au fond de mon âme. Je me crois quitte envers les plus belles lèvres du monde quand je leur ai permis de baiser ma joue. Si je ne me suis pas mariée, c’est pour ne pas avoir de mari ; mais je vois que vous en avez toujours un. J’ai gagné ma vie depuis l’âge de dix ans, et pour prévoir le cas où je devrais abandonner notre art, j’ai appris non pas un métier, mais tous les métiers de femme, et je les sais tous comme une excellente ouvrière. Aussi suis-je parfaitement libre ! Je mettrais à la porte un monsieur qui m’offrirait une bague de quinze sous, mais je ne consentirai jamais à dire qu’il n’y a qu’un seul homme au monde, fût-il Antinoüs ressuscité avec l’esprit de Rivarol ! Artiste, j’aime la beauté ; femme, l’esprit et les bonnes manières, comme j’aime les fleurs, la musique et les vins de soleil, et si vous voulez me parler de certaines faiblesses qu’il n’est jamais de bon goût d’avouer, je vous dirai qu’une femme a toujours le droit de ne pas se les rappeler elle-même ! Et laisse-moi ajouter ceci, vous me semblez toutes plus avares que le ciel et la nature, car ils ne choisissent pas une seule fleur cachée et un seul coin de terre pour y verser à flots la lumière et la joie ! Mais, ajoutait-elle, je vois bien que nous ne nous comprenons pas : laisse-moi.

» Ainsi parlait Berthe, plus éloquemment sans doute, car ses yeux et ses lèvres si fières exprimaient toute l’ardeur de son sang, et moi je l’écoutais songeuse, me disant pourtant que je n’échangerais pas mes âpres souffrances contre cette tranquillité trop surhumaine. Voulez-vous un dernier trait pour cette biographie à bâtons rompus : J’ai connu un jeune pianiste nommé Octave, très-épris de Berthe, et se mourant d’amour pour elle, quoiqu’elle ne l’eût pas repoussé. J’avais vu cet