Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/65

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enfant verser tant de larmes et donner tant de marques d’une douleur vraie, que je ne pus m’empêcher d’aller supplier Berthe pour lui. — Mais, ma bonne Jacqueline, me répondit-elle, je comprends mal ce qu’il veut ; je ne lui ai jamais fermé ma porte ni refusé ma main. Il me demande si je lui suis fidèle, et je ne sais pas bien ce qu’il veut dire ! Pendant les bonnes et longues heures que j’ai passées avec lui, il est certain que je m’occupais de lui et non pas d’un autre, car rien ne m’empêchait de les passer ailleurs si tel eût été mon bon plaisir. Me demande-t-il si je pressentais sa venue et si j’ai passé ma vie à l’adorer, même à l’époque où ma nourrice m’endormait dans ses bras ? Il est certain que j’ai aussi mangé des tartines de confiture, et plus tard appris des rôles, et il y a aussi des heures où je vais les répéter au théâtre. Est-ce là ce qu’il me reproche, ou désire-t-il savoir si j’aimerai encore ses cheveux blonds et ses dents blanches quand ses dents seront devenues noires et ses cheveux blancs ? Pour cela, non, tu peux le lui dire d’avance ; mais s’il veut que je m’engage à n’aimer jamais que ce que j’ai aimé, la Beauté, la Jeunesse et le Charme, il peut en être certain d’avance, et je ne lui demande pas d’autre fidélité que celle-là ! Peut-être a-t-il une fée pour marraine, et elle lui promet qu’il gardera tous ces dons jusqu’à quatre-vingts ans, comme Ninon ; mais, Jacqueline, nous ne croyons guère à cela, nous qui jouons si souvent les fées, et d’ailleurs, si cela arrive, nous le verrons bien. Va, Jacqueline, tu peux lui dire que je lui suis très-fidèle !

» Berthe disait aussi : Je connais un poëte très-sensé, qui, bien entendu, ne fait pas partie de l’École du Bon Sens. Quand il adore une maîtresse, il ne fait pas faire son portrait, car jamais un artiste ne peut reproduire