Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/146

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’horreur, leur cœur succombera, se brisera sous cette horreur poussée à ses dernières limites. Après de si furieuses secousses, l’âme immortelle a besoin de parler, de s’adresser directement à la divinité dont elle procède. C’est ce que fait le Chœur ; unissant dans son essor lyrique l’âme du poëte et l’âme du spectateur, il affirme leurs aspirations, leurs désirs, leurs communes espérances :

le chœur.

Ô Prométhée, je déplore ton lamentable destin. Un ruisseau de larmes coule de mes yeux attendris ; humide rosée qui mouille mon visage. L’affreux supplice que t’impose Jupiter, c’est pour montrer qu’il n’a de lois que son caprice, c’est pour faire sentir son orgueilleux empire aux Dieux qui furent puissants autrefois.

Déjà toute la plage a retenti d’un cri plaintif. Ils pleurent tes nobles et antiques honneurs ; ils pleurent la gloire de tes frères ; ils souffrent de tes lamentables douleurs, tous ces mortels qui habitent le sol sacré de l’Asie : et les vierges de Colchide, intrépides soldats ; et la horde scythe, qui occupe les bords du marais Méotide, aux extrêmes confins du monde ; et cette fleur de l’Arabie, ces héros dont le Caucase abrite les remparts, bataillons frémissants, hérissés de lances.

Le seul dieu que j’eusse vu jadis chargé des chaînes d’airain de la douleur pesante, c’était cet infatigable Titan, Atlas, dont le dos supporte un immense et éclatant fardeau, le pôle des cieux. La vague des mers tombe sur la vague et mugit ; l’abîme pousse un gémissement ; l’enfer ténébreux frémit dans les profondeurs de la terre ; les