Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/287

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s’appelle Jean Bonhomme, qu’il ait la malice et l’aimable ironie du prolétaire, mais elle ne le reconnaîtra jamais sous l’ambitieuse figure d’un Pindare. Ce rôle impérieux, nécessairement voulu par celui qui le joue, d’un poëte s’assimilant aux rois et aux Dieux, ayant la conscience de sa haute mission et traitant d’égal à égal avec les grands de la terre, lui est particulièrement hostile, car, toujours courbée sous un maître, elle sent que son véritable avocat est le railleur, en apparence naïf, qui cache ses armes terribles sous une bonhomie d’emprunt. Pour réussir chez elle, il ne suffit pas qu’Apollon exilé du ciel se fasse berger, il faut encore qu’il se fasse peuple, et ne réclame sa place dans aucune aristocratie. Ses favoris se nommeront Villon, Marot, Rabelais, Régnier, La Fontaine, Molière, et non pas Ronsard, Baïf, Du Bellay, Desportes, Belleau, Corneille, Racine ; roi et peuple, chacun fait, d’instinct et sans se tromper jamais, le triage de ses soldats.

Après trois siècles d’intervalle, rien n’a changé ; les successeurs de Marot et ceux de Ronsard sont en présence, et il n’est pas besoin de demander de quel côté se rangent les sympathies de la foule. Nulle part ailleurs que chez nous n’existe cette tradition d’une poésie qui représente le génie populaire de la patrie ; le bon sens public affirme