Page:Banville - Petit Traité de poésie française, 1881.djvu/286

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soit à ses heures de martyre, soit à ses heures de victoire, il ne sera jamais un poëte populaire, précisément à cause de ce costume triomphal sous lequel il se présente orgueilleusement à notre admiration. Une telle allure est toute hostile au génie français, qui voit dans son poëte non pas un combattant victorieux, mais un affranchi d’hier bernant ses maîtres et les dominant par la fine raillerie, tout en ayant l’air de leur obéir.

C’est ce que prouve notre comédie, où l’imagination, l’esprit et le talent de l’invention appartiennent exclusivement aux valets, tandis que les maîtres, de Valère à Almaviva, sont toujours de superbes niais dont tout le mérite consiste dans un habit brodé. En ce qui touche la poésie, nulle nation plus que la France n’est haineuse de l’étranger et ennemie de toute tentative de renouvellement par un élément extérieur. Aux époques mêmes dont le retour est fatal, et où la séve poétique usée mourrait nécessairement sans une transformation salutaire, la France ne pardonnera pas aux courageux novateurs qui l’auront sauvée par ce secours antinational. Elle a beau reconnaître sa mère spirituelle dans la Grèce antique, elle ne veut rien devoir même à cette mère si riche ; elle aime mieux languir, périr s’il le faut, en restant elle-même. Il faut que son poëte