Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/179

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la voyant presque émue de mes paroles, souhaitant chevaleresquement d’être aimé, d’être aimé avant tout ; aimant mieux être aimé que d’être heureux !

« — Dites-moi, señora, — lui dis-je, — que vous croirez à mon repentir et à mon amour. Dites-moi que vous n’en repousserez pas l’expression ; que vous me permettrez de vous voir parfois, moi qui vous chercherai toujours.

« Mais, relevant ses yeux, — ces yeux frangés d’airain qu’avait baissés une rêverie mensongère, — l’inexorable créature étendit de nouveau sa cravache sur le chemin que j’avais devant moi.

« — Je n’ai à vous dire que ceci, monsieur de Marigny, — répondit-elle : — pour la seconde fois, voilà votre chemin ; passez !

« C’était trop. Ce froid mépris, retrouvé là au moment même où je croyais avoir fait naître l’intérêt ému d’une femme qui se voit aimée ; ce mépris glacé, implacable, laconique et têtu, souleva en moi une immense colère, qui emporta les dernières délicatesses de mon cœur. L’idée que j’avais combattue — de l’enlever de son cheval et de l’emporter comme une proie — s’empara de moi avec la domination d’un désir de feu.

« L’amour et la fureur avaient tout tué, tout foudroyé en moi, excepté l’homme. Je la saisis au-dessus des hanches et je m’efforçai de