Page:Barbey d’Aurevilly - Les Romanciers, 1865.djvu/166

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jet, je crois que je jugerais mon bourreau. » Un auteur ennuyeux, n’est-ce pas un bourreau que la Critique juge ? C’est facile cela… facile comme une vengeance. On lui rend le mal qu’il vous a fait ! Mais s’il n’est pas ennuyeux ! Au contraire ! s’il a du talent… fourvoyé, mais, après tout, du talent ; s’il intéresse ou seulement s’il amuse, — ce qui est le petit intérêt après le grand ; — si enfin il prend l’âme ou l’esprit par un côté quelconque, c’est plus difficile de le juger, mais c’est ce qui me tente. Je profiterai de l’occasion. Qui sait ?… C’est peut-être la seule fois de ma vie que j’aurai plus de mérite que Mme de Staël !

S’il amuse ! et de fait, voilà le mot qui arme et qui désarme ! Voilà le mot terrible et doux qui va planer sur cette critique que je vais risquer aujourd’hui de M. Féval et de ses œuvres. Il amuse dans le sens que l’imagination, qui n’est pas très-exigeante, que l’imagination, bonne fille, donne à ce mot-là. Il amuse. Il est amusant. C’est un amuseur. Qu’il prenne garde ! Ce mot léger peut devenir cruel ! Oui, M. Féval a cette fleur de l’amusement qui n’est pas toujours, que dis-je ? qui n’est presque jamais l’intérêt profond, passionné, à impression ineffaçable, que donnent les livres forts et grands ; mais il a cette fleur de l’amusement qu’on respire et qu’on jette aussi (rarement pour la reprendre) après l’avoir respirée !

Avec le nombre très-considérable déjà de ses ouvrages, M. Féval est même tout un buisson de cette fleur-là… C’est un amuseur. C’est à une question d’amusement, c’est à un résultat de temps, tué plus ou moins agréablement pour ses lecteurs, qu’aboutit toute la force, — très-réelle, — employée à