Page:Barbey d’Aurevilly - Un prêtre marié, Lemerre, 1881, tome 1.djvu/213

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vaise pensée. Seul avec cette jeune fille adorée, dans ce salon plus caché à tous les yeux et plus solitaire que le repaire des bêtes les plus fauves (car les bêtes fauves ont les chasseurs), ce jeune homme, dont le sein brûlait, était là comme si au lieu du portrait de la mère de Calixte, appendu dans un panneau d’ébène, c’eût été cette mère toute vivante qui aurait été entre eux deux.

Dans ces tête-à-tête prolongés, il apprenait à la connaître, et cette connaissance exaspérait son amour qui avait commencé, comme ils commencent tous dans nos âmes, par les fleurs enivrantes de l’illusion. Il avait cru pouvoir se faire aimer d’elle. Il en doutait. Il ne le croyait plus. Il ne voyait dans l’âme de Calixte que la désolante pureté des êtres parfaits, le calme implacable des anges.

La seule chose qui le rassurât et qui lui permît encore l’espérance, c’était l’idée qu’elle souffrait du crime de son père. Puisqu’elle en souffrait, elle était donc sensible à la manière des créatures humaines ! et la femme, comme la fleur délicate du cactus qui brise l’enveloppe épineuse de son feuillage, faussait de son doux sein fragile, apte à la blessure, la cuirasse impénétrable du séraphin.

Or, il y avait deux mois à peu près que Néel de Néhou venait ainsi librement au Quesnay,