Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/151

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façonna cependant assez semblables pour que la tendresse nous rendît par miracle sensibles l’un à l’autre, nous avons gagné ensemble un recueillement et un culte — une religion qui tremble — pour notre misère même. Nous la trouvions partout avec la mort ; nous adorions la faiblesse humaine dans le vent qu’on sent frémir et qui s’approche — et qui va toujours ; dans le couchant qui se dépouille ; dans l’été qu’on voit souffrir et décliner ; dans l’automne dont la beauté contient des pressentiments, et dont les feuilles mortes font mourir tristement le bruit des pas ; dans le ciel étoile dont la grandeur paraît de la folie ; et même il était difficile de croire que la pierre eût un cœur de pierre et que l’avenir ne fût pas innocent et exposé à l’erreur ! Et nous résistions, et nous nous étendions d’espoir.

« Souviens-toi quand tombait sur les grandes descentes, le soir où nous sentions la vieillesse venir, nous joignions deux à deux nos mains insuffisantes et tournions malgré tout nos yeux vers l’avenir. L’avenir ! Sur ta joue infinie une ride souriait. Tout était magnifique et tremblant, la sage vérité tombait du ciel splendide et son dernier reflet posait sur ton front blanc. Avares, las, ouvrant à peine les paupières, pleins du pauvre passé qui ne peut pas guérir, nous espérions ; le soir amollissait les pierres, tes yeux étaient dorés, je te sentais mourir !  »

« La vie s’exalte avec une sorte de perfection dans la vie finissante. « C’est beau, chante-t-il plus profond encore, c’est beau d’arriver à la fin de ses jours… C’est ainsi que nous avons vécu le paradis. »