Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/152

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Et ils en viennent à se dire timidement, gauchement : « Je t’aime ». Au seuil de l’azur perpétuel ils cherchent à réaliser l’humble commencement de la vie expiatoire. Et ils vont jusqu’à assurer que Dieu souffre de les voir mourir, et ils le plaignent. Puis ceux qui vont ne plus souffrir se disent un adieu affreux sur lequel finit le drame.

— Ils ont raison, dit Aimée en un cri où elle était toute.

— Voilà la vérité, dit le poète. Elle n’efface pas la mort. Elle ne diminue pas l’espace, ne retarde pas le temps. Mais elle fait de tout cela et de l’idée que nous en avons les sombres éléments essentiels de nous-mêmes. Le bonheur a besoin du malheur ; la joie se fait en partie avec de la tristesse ; c’est grâce à notre crucifixion sur le temps et l’espace, que notre cœur, au milieu, palpite. Il ne faut pas rêver une sorte d’absurde abstraction ; il faut garder le lien qui nous retient au sang et à la terre. « Tels que nous sommes ! » souviens-toi. Nous sommes un grand mélange ; nous sommes plus que nous ne le croyons : qui sait ce que nous sommes !…

Sur la figure féminine que l’épouvante de la mort avait rigidement contractée, un sourire s’était remis à vivre. Elle demanda avec une grandeur enfantine :

— Que ne me disais-tu cela tout de suite dès que je t’ai interrogé ?

— Tu ne pouvais me comprendre alors. Tu avais engagé ton rêve de détresse dans une voie sans issue. Il fallait donner à la vérité un autre cours pour te la présenter à nouveau.