Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/195

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— Allons donc ! fit le vieux savant, sans l’interroger davantage. Je connais cela. J’ai eu peur autrefois, peur du cancer, puis peur de la folie.

— De la folie, maître, vous !

— Tout cela, année par année, a passé… Et maintenant, dit-il avec une voix qui, malgré lui, s’altérait, je n’ai plus peur que de la vieillesse.

— Il est certain, maître, reprit le disciple qui s’était un peu remis et se croyait permis de sourire devant l’évidence, que cette maladie est la seule que vous puissiez craindre !

— Vous dites ? s’exclama le vieillard avec une vivacité qu’il ne put retenir et qui laissa le jeune homme décontenancé.

Il eut honte de la naïveté pitoyable de cette protestation. Il balbutia :

— Ah ! si vous saviez ! Si vous saviez ce que c’est que cette maladie si simple, si simple, cette usure et cette infection générales, si inévitables, si douces ! Ah ! viendra-t-il avant que nous ne mourions, celui qui guérira la déchéance !

Le jeune médecin ne savait quoi dire à cet homme brusquement désarmé, comme lui l’instant d’avant. Le commencement d’un mot sortit de ses lèvres, puis il regarda le vieux savant, et ce spectacle troubla et calma un peu son propre tourment. Je suivais des yeux ce rapide échange d’angoisses, et je ne me rendais pas compte si le sentiment qui atténuait sa détresse devant celle du maître était un sentiment vil ou un sentiment sublime…

— Il y a des gens, hasarda-t-il enfin, qui prétendent que la nature fait bien ce qu’elle fait !