Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et triomphales comme les couleurs dans le jour, ou le poète du Nord qui, dans le décor nu et morne des coins gris, sous le jaune fumeux des fenêtres, en peu de mots, — montre que les figures se transfigurent et qu’il y a dans l’ombre séparant deux interlocuteurs, le seul infini qui soit !

— Ils ont tous les deux raison, sans doute.

— Moi, que toute mon enfance attirait vers ceux de l’exubérance et du soleil, je préfère maintenant les autres, au point de ne croire qu’en eux. La couleur est vide et s’étale. Anna, Anna, l’âme est un oiseau de nuit. Tout est beau ; mais la beauté sombre est primordiale et maternelle. Dans la lumière, l’apparence ; dans l’ombre, nous. L’ombre est la réalité de miracle qui traduit l’invisible.

Un mouvement qui le tourna de trois quarts me montra d’une façon nette la grosseur distendue de son cou.

— Oui, oui… continua-t-il avec un geste étroit, mais qui avait une sorte d’importance céleste, un pauvre geste prophétique, c’est dans la littérature qu’on puise le plus haut et le plus plein consentement à ce qui est ; c’est elle qui assure de la façon la plus parfaite — presque la perfection même — la récompense de s’exprimer… Oui… bien que Shakespeare ait donné des souffles du monde intérieur, et que Victor Hugo ait créé une splendeur verbale telle que depuis lui le décor universel semble changé — l’art d’écrire n’a pas eu son Beethoven. C’est que l’ascension du plus haut sommet est ici autrement ardue et défendue ; c’est qu’ici, la forme n’est que la forme, et qu’il s’agit de la vérité tout