Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/208

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Et je pense à cela en même temps qu’elle — et je vois mieux qu’elle son martyre.

Ce massacre, cette tragédie de chair, cela est si commun et si banal que chaque femme en porte le souvenir et l’empreinte. Et pourtant, personne ne sait bien cela. Le médecin qui passe devant tant de douleurs pareilles ne peut plus s’en attendrir ; la femme, qui a trop de tendresse, ne peut plus se la rappeler. Intérêt sentimental des uns, désintéressement professionnel des autres, le mal s’atténue et s’efface. Mais moi qui vois pour voir, je l’ai connue dans toute son horreur, cette douleur d’enfanter qui, comme l’a dit naguère l’homme que j’entendais, ne cesse plus dans les entrailles d’une mère ; et je n’oublierai jamais la grande déchirure de la vie.

La veilleuse est disposée de telle façon que le lit est plongé dans l’ombre. Je ne distingue plus la mère ; je ne la sais plus ; je crois en elle.

Aujourd’hui, l’accouchée a été transportée avec d’exquises précautions dans la chambre voisine qu’elle occupait auparavant — plus spacieuse et plus confortable.

On a nettoyé la chambre de fond en comble.

Cela n’a pas été sans peine. J’ai vu brandir les draps rouges, remporter la literie souillée où la corruption se fût mise vite, laver le bois du lit, le devant de la cheminée ; et la bonne avait peine