Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/246

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me montrait une fois de plus la pauvreté de la religion parmi le cœur humain :

— Je vous adore uniquement, moi qui l’ai adorée, moi qu’elle adorait. Ah ! comment est-il possible qu’il y ait un paradis où on retrouve le bonheur !…

Sa voix s’élève, ses bras inertes frémissent. Il sort un instant de la profonde immobilité.

— Ah ! c’est vous, c’est vous ! Vous seule !

Et il a un grand appel désemparé, sans limites.

— Ah ! Anna, Anna, si j’avais été vraiment marié avec vous, si nous avions vécu comme deux époux, si nous avions eu des enfants, si vous aviez été à côté de moi comme vous l’êtes ce soir, mais vraiment à côté de moi !

Il retomba. Il avait crié si fort, que, même s’il n’y avait pas eu cette fente au mur, je l’aurais entendu de ma chambre. Il disait son rêve total, il le donnait, il le donnait autour de lui, éperdûment. Cette sincérité, indifférente à tout, avait une signification définitive qui me broyait le cœur.

— Pardonnez-moi. Pardonnez-moi… C’est presque un blasphème… Je n’ai pas pu m’empêcher…

Ses paroles s’arrêtèrent : on sentait sa volonté qui lui calmait le visage, son âme qui le faisait taire ; mais ses yeux semblaient gémir.

Il répéta plus bas, comme pour lui-même : « Vous… Vous !… »

Il s’assoupit dans ce mot : vous…

Il est mort, cette nuit. Je l’ai vu mourir. Par