Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/247

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un hasard étrange, il était seul au moment où il est mort.

Il n’y a pas eu de râle, ni d’agonie proprement dite. Il n’a pas ramené ses couvertures sous ses doigts, ni parlé, ni crié. Pas de dernier soupir, pas d’illumination. Il n’y a rien eu.

Il avait demandé à Anna de lui donner à boire. Comme il n’y avait plus d’eau, et que la garde était précisément en ce moment absente, elle était sortie rapidement pour en chercher. Elle n’avait même pas fermé la porte.

La lueur de la lampe emplissait la chambre.

J’ai regardé le visage de l’homme et j’ai senti, à je ne sais quel signe, que le grand silence, en ce moment, le submergeait.

Alors, moi, instinctivement, je lui ai crié, et n’ai pu m’empêcher de lui crier pour qu’il ne fût pas seul :

— Je vous vois !

Ma voix bizarre, déshabituée de parler, a pénétré dans la chambre.

Mais il mourut au moment même où je lui donnais cette aumône de fou. Sa tête s’était raidie légèrement en arrière, et ses prunelles s’étaient révulsées.

Anna rentrait ; elle avait dû m’entendre vaguement, car elle se hâtait.

Elle le vit. Elle poussa un cri effrayant, de toute sa force, de toute la puissance de sa chair saine, un cri pur et vraiment veuf. Elle se mit à genoux devant le lit.

La garde arrivait sur ses pas et leva les bras au