Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/255

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stérile qui ne laissera pas de gloire, auquel le hasard a prêté la vérité que le génie lui eût donnée ; œuvre fragile qui passera avec moi, mortelle et fermée aux autres comme moi, mais œuvre sublime pourtant, qui montrerait les lignes essentielles de la vie et raconterait le drame des drames.

Qu’est-ce que je suis ? Je suis le désir de ne pas mourir. Ce n’est pas seulement ce soir, où me pousse le besoin de construire le rêve solide et puissant que je ne quitterai plus, mais toujours. Nous sommes tous, toujours, le désir de ne pas mourir. Il est innombrable et varié comme la complexité de la vie, mais c’est, au fond, ceci : continuer à être, être de plus en plus, s’épanouir et durer. Tout ce qu’on a de force, d’énergie et de lucidité, sert à s’exalter, de quelque façon que ce soit. On s’exalte avec des impressions nouvelles, des sensations nouvelles, de nouvelles idées. On s’efforce de prendre ce qu’on n’a pas pour se l’ajouter. L’humanité, c’est le désir du nouveau sur la peur de la mort. C’est cela : je l’ai vu, moi. Les mouvements instinctifs et les cris libres étaient dirigés toujours dans le même sens comme des signaux, et, au fond, les paroles les plus dissemblables étaient pareilles.

Mais après… Où sont les mots qui éclairent la voie ? Si c’est cela, l’humanité, qu’est-elle dans le monde, et qu’est-ce que le monde ?