Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/256

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Je me souviens, je me souviens, comme on appellerait au secours… Un jalon, une borne, où la sainte inquiétude se pose : l’importance d’un être humain parmi les choses, cette importance que j’ai mis toute ma vie à comprendre…

L’immensité de chacun de nous : premier grand signe dans le noir. C’est vrai que le cœur fait son deuil ou sa fête avec toute la nature, et, aux yeux du plus humble des contemplateurs, c’est vrai que dans le ciel provençal les étoiles ont pâli lorsque Mireille est apparue à sa petite fenêtre.

Je suis au milieu du monde. Les astres me couronnent. La terre me porte et m’élève. Je me tiens au sommet des siècles. Je ramène tout à moi, les vastes ou les petites choses de l’esprit et du cœur. De ma main devant les yeux, le jour, je fais la nuit, et la nuit, je me cache la nuit ; si je ferme les yeux, l’azur ne peut plus rien être. À partir de moi, toutes les grandeurs vont se rapetissant.

J’ai appuyé ma tête sur ma main.

Alors mes doigts sentent les os de mon crâne : l’orbite, la dépression de la tempe, la mâchoire. Un crâne…

Un crâne ! Mais je connais cela ! Mon crâne est semblable aux autres.

Cette ressemblance de moi et de tous, je n’y avais jamais pensé. Je la vois. Je vois, à travers un peu d’ombre, mes os, mes ossements. Je recon-