Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/278

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qu’il faut bien se parler… Les lambeaux de paroles qu’ils échangent les retiennent un instant debout.

— Quelle attente, quel espoir ! bégaye-t-il, éperdu. J’ai toujours pensé à toi, je t’ai toujours vue !

Il ajoute plus bas, d’une voix plus chaude :

— Parfois, au milieu d’une conversation banale, ton nom brusquement prononcé venait me fouiller le cœur.

Sa voix, sourde, halette ; elle a de brusques sonorités qui éclatent. Il semble ne pas savoir parler bas.

— Combien de fois, sur la terrasse de la maison, du côté du détroit, je m’asseyais sur la balustrade de briques, la figure dans les mains ; je ne savais même pas de quel côté du monde tu étais, et si loin de toi pourtant, je ne pouvais pas ne pas te voir !

— Souvent, dans des chaudes soirées, je me suis mise, à cause de toi, à la fenêtre béante, fit-elle, en baissant la tête… Parfois, l’air était d’une douceur suffocante, — comme il y a deux mois à la villa des Roses. J’avais les larmes aux yeux.

— Tu pleurais ?

— Oui, fit-elle à voix basse, je pleurais de joie.

Leurs bouches se sont jointes, leurs deux bouches petites et pourprées, exactement de la même couleur. Ils sont presque indistincts, tendus dans le silence créateur du baiser, qui les réunit intérieurement, en fait un unique et sombre fleuve de chair.

Puis il s’est un peu reculé d’elle pour la mieux