Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/296

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fauts apparaissaient et effaçaient cet idéal prestige dont le premier regard les avait ornées. La plupart des hommes, conformément à la mode qui régnait en cet instant du temps, étaient entièrement rasés, avaient des chapeaux à bords plats, des paletots aux épaules tombantes.

Tandis que mon œil suivait machinalement la main gantée de fil blanc qui versait dans mon assiette le potage présenté dans une écuelle argentée, je prêtai l’oreille au brouhaha de conversations qui m’entouraient.

Je n’entendais que ce que disaient mes trois voisins. Ils parlaient de personnes qu’ils connaissaient dans la salle, puis de plusieurs amis, sur un ton dont l’ironie et le persiflage constants me surprirent.

Je ne trouvais rien dans ce qu’ils disaient ; cette soirée serait inutile comme les autres.

Quelques instants après, le maître d’hôtel, en prélevant pour les déposer dans mon assiette les filets d’une sole qu’une épaisse sauce rose noyait dans son plat oblong de métal, me désigna d’un mouvement de la tête et d’un clin d’œil en coulisse un des convives :

— C’est M. Villiers, l’écrivain si connu, me souffla-t-il orgueilleusement.

C’était lui, en effet ; il ressemblait assez à ses portraits et portait avec grâce sa jeune gloire. J’enviai cet homme qui savait écrire et dire ce qu’il pensait. Je considérai avec quelque admiration la distinction de sa silhouette mondaine, la jolie ligne moderne et fine de son profil perdu,