Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/297

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d’où sortait l’effilement soyeux de sa moustache, la courbe parfaite de son épaule, et l’aile de papillon de sa cravate blanche.

Je portais à mes lèvres mon verre — si fragile que le vent du plein air l’eût brisé sur sa tige — lorsque je m’arrêtai brusquement et sentis tout mon sang affluer à mon cœur.

J’avais entendu ceci :

— Sur quoi, ton prochain roman ?

— Sur la vérité, répondit Pierre Villiers.

— Hein ? fit l’ami.

— Un défilé d’êtres surpris tels qu’ils sont.

— Quel sujet ? demanda-t-on.

On l’écoutait. Deux jeunes gens qui dînaient non loin se taisaient, l’air oisif, l’oreille évidemment tendue. Dans un coin de pourpre somptueuse, un homme en frac fumait un gros cigare, l’œil affaissé, les traits tirés, toute sa vie concentrée dans le foyer odorant du tabac, et sa compagne, son coude nu sur la table, environnée de parfums et étincelante de bijoux, surchargée de la lourde royauté artificielle du luxe, tournait vers le parleur sa figure de nature et de lune.

— Voici, dit Pierre Villiers, le sujet qui me permet de faire amusant et vrai à la fois : un homme perce un trou dans le mur d’une chambre d’hôtel et regarde ce qui se passe dans la chambre voisine !

Je dus à ce moment considérer les causeurs d’un œil égaré et pitoyable… Puis, vite, je baissai