Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/54

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— Je ne veux plus me souvenir, dit-elle.

Et lui :

— Je ne veux plus que nous nous ressemblions. Je ne veux plus que nous soyons frères.

Peu à peu, leurs yeux s’ouvrent :

— Ne se toucher que les mains ! murmura-t-il en tremblant.

— Être frères, ce n’est rien.

Elle était venue, l’heure des belles décisions troubles et des fruits défendus. Avant, aucun d’eux ne s’appartenait ; elle était venue, l’heure où ils s’occupaient à se reprendre tout entiers pour faire d’eux ce qu’ils voulaient.

Déjà, ils avaient un peu honte et conscience d’eux-mêmes.

Il y avait quelques jours, vers le soir, ils avaient éprouvé un grave plaisir à désobéir en sortant du jardin contre la défense de leurs parents.

— Grand’mère était venue, du haut du perron tout gris, nous appeler pour rentrer…

« Mais nous sommes partis tous les deux ; nous avons traversé la haie à l’endroit où un oiseau crie d’ordinaire, et où il y a une brèche. L’oiseau s’était envolé et son cri aussi. Pas de vent, et presque plus de lumière. Les branches des arbres se taisaient, malgré leur sensibilité. La poussière, par terre, était morte. L’ombre nous a enveloppés avec elle-même, si doucement, que nous lui aurions presque parlé. Nous étions intimidés en voyant venir la nuit. Il n’y avait plus de couleur aux choses, seulement un peu de clarté dans le noir ; les fleurs, la route, les blés même étaient d’argent… Et c’est