Page:Barbusse - L’Enfer.djvu/85

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la tête dépasse du bord de la table de marbre, et qui, amusante, mendie pour sa maîtresse les regards des passants et déjà leurs sourires.

Cette femme me considère avec intérêt. Elle voit que je n’attends personne, que je n’attends rien.

Un signe, un mot, et elle, qui attend tout le monde, viendrait, souriant de tout son corps… Mais non, ce n’est pas cela que je désire. Je suis plus simple que cela. Je n’ai pas besoin d’une femme. Si je suis troublé au contact des amours, c’est à cause d’une grande pensée et non pas d’un instinct.

Elle s’approche de moi. Elle ne sait pas qui je suis ! Je me détourne. Que m’importe la rapide et grossière extase, la comédie sexuelle ! J’ai vue sur l’humanité, sur les hommes et les femmes, et je sais ce qu’ils font.

Le relent du café et du tabac, mêlé à la tiédeur, forme une atmosphère alanguissante. Les bruits — le choc d’une soucoupe, la poussée et la retombée de la porte d’entrée, l’exclamation d’un joueur — se fondent. Sur les figures est posé un reflet verdâtre. La mienne doit être plus impressionnante que celle des autres : elle doit apparaître ravagée par l’orgueil d’avoir vu, et par le besoin de voir encore.

… Tout à l’heure il l’a appelée « Aimée ». Je ne sais pas si c’est son nom ou un aveu. Je ne sais pas les noms, je ne sais pas les détails, je ne sais rien de ce genre. L’humanité me montre ses entrailles ; j’épelle le profond de la vie, mais je