Page:Barckhausen - Montesquieu, l’Esprit des lois et les archives de La Brède, 1904.djvu/118

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ce qui fait que le prêt à intérêt est contraire à la nature et à l’usage naturel de l’argent. Toutes ces idées sont purement philosophiques, et tout ce chapitre roule sur ces sortes d’idées[1]. Ce n’est qu’à la fin du chapitre que saint Thomas prouve par Ézéchiel et par saint Ambroise, que le prêt à intérêt est contraire à la Loi divine.

Quand on a choisi un scolastique aussi respectable que saint Thomas, il n’est plus nécessaire de parler des autres. Or, on trouvera une telle conformité dans les raisonnemens d’Aristote et ceux de saint Thomas, que, quand on aura lu les deux ouvrages, on ne pourra plus m’objecter que j’aye dit que les Scolastiques avoient pris d’Aristote leur doctrine sur l’usure ; ce qui ne peut signifier ici que leurs explications.

Le même saint Thomas me servira de preuve que les Scolastiques auroient peut-être mieux fait de ne s’attacher qu’aux principes de l’Evangile, et de négliger ceux d’Aristote. Il examine, au chapitre vi de l’opuscule dont j’ai parlé, quels sont les cas qui sont usuraires, et ceux qui ne le sont pas. En voici deux. Selon lui, un prêteur qui consent de courir les risques de la mer et assume sur lui les périls du capital ne peut pas prendre d’intérêts, et cela est conforme, dit-il, à la décrétale Naviganti. Mais la décrétale Naviganti n’est plus en usage, et tous les théologiens conviennent aujourd’hui qu’on en peut prendre dans ce cas, pourvu que l’intérêt soit modéré, c’est-à-dire qu’il soit à raison du danger. Saint Thomas soutenoit son opinion par une raison philosophique. « C’est, dit-il, que, le tems ne pouvant être une raison pour établir l’usure, le péril de la mer ne pouvoit pas corriger ce qui étoit un vice. » Nous disons aujourd’hui qu’on peut faire cette sorte de contrats à cause du péril de la mer, qui fait qu’ils ne sont pas contraires à la charité chrétienne.

Saint Thomas, dans le même endroit, pose un cas où un homme peut vendre du blé plus cher qu’il ne vaut du tems de la vente, s’il a une espérance que le blé sera aussi cher au tems du payement. « Parce que, dit-il, il n’est point question ici du

  1. Voyez aussi le chap. ix.