Page:Barckhausen - Montesquieu, l’Esprit des lois et les archives de La Brède, 1904.djvu/18

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leurs institutions, « n’étaient pas uniquement conduits par leurs fantaisies »[1]. « Dans le fond raisonnables »[2], les hommes poursuivent toujours, avec plus ou moins de succès, la conservation de l’État auquel ils appartiennent. Sans doute, ils se trompent bien souvent dans les tentatives qu’ils font pour atteindre un but infiniment variable et complexe. Mais les suites fâcheuses de leurs erreurs les en avertissent. En effet, « la Raison a » sur eux « un empire naturel ; elle a même un empire tyrannique : on lui résiste ; mais cette résistance est son triomphe : encore un peu de temps, et l’on sera forcé de revenir à elle »[3].

Quand il eut conçu l’idée-mère et saisi les applications les plus générales de son système, Montesquieu ne s’empressa pas de le publier, mais bien de le vérifier rigoureusement. Il n’avait rien de commun avec ces savants prétendus qui débitent solennellement leurs élucubrations d’une nuit, en parlant sans cesse des méthodes scientifiques, dont ils n’usent guère. Agé de quarante ans environ, il recueillit ses souvenirs et ses notes anciennes, entreprit des lectures de tout genre, et s’informa des coutumes ou des lois positives de tous les peuples, même des Barbares et des Sauvages.

Les critiques qui s’étonnent de lui voir relever des faits peu communs, bizarres, tératologiques même, prouvent qu’ils n’ont pas su deviner l’objet intime de son ouvrage. Ce sont là les faits qui devaient l’attirer spécialement. Ne fallait-il pas démontrer que, malgré l’apparence, ils étaient plus ou moins bien raisonnés, sinon raisonnables ?

  1. De l’Esprit des Lois, Préface.
  2. Ibid., liv. XXVIII. chap. xviii : « Les hommes, dans le fond raisonnables, mettent sous des règles leurs préjugés mêmes. »
  3. Ibid, liv. XXVIII, chap. xxxviii.