Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/111

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    Ton corps est abattu du mal de ta pensée ;
    Tu sens ton front peser et tes genoux fléchir.
    Tombe, agenouille-toi, créature insensée :
    Ton âme est immortelle, et la mort va venir.

    Tes os dans le cercueil vont tomber en poussière ;
    Ta mémoire, ton nom, ta gloire vont périr,
    Mais non pas ton amour, si ton amour t’est chère :
    Ton âme est immortelle, et va s’en souvenir.

En rapprochant de cette page le fragment de vers où se résume l'Espoir en Dieu (15 février 1838) : « malgré moi l’infini me tourmente », on a toute la religion de Musset, du Musset guéri, selon son expression, de la « vilaine maladie du doute ». Sa religion n’est, à vrai dire, qu’une religiosité peu exigeante, pas assez gênante. Il en a précisé la nature et les limites dans une lettre à la duchesse de Castries (sept. ou oct. 1840) : « La croyance en Dieu est innée en moi ; le dogme et la pratique me sont impossibles, mais je ne veux me défendre de rien ; certainement je ne suis pas mûr sous ce rapport ».

La conclusion de la Lettre à Lamartine avait été une parenthèse dans les préoccupations de Musset. Combien vite fermée, la Nuit d’août (15 août 1836) est là pour l’attester. Musset n’a rien écrit de plus impie, en ce sens que nulle part il n’a exalté l’« idolâtrie de la créature » à un tel degré, et avec autant d’éloquence, ne laissant qu’elle pour horizon à l’humanité avilie, ne voyant qu’elle pour fin de l’« immortelle nature ». Quel hymne à Éros ! Quelle puissante évocation du dieu impassible qui marche dans notre sang et se rit de nos larmes ! Il grandit démesurément