Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/115

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pied d’un rocher qui tombait en poussière ; ils attestèrent de leur constance un ciel qui n’est pas un instant le même ; tout passait en eux et autour d’eux, et ils croyaient leurs cœurs affranchis de vicissitudes. O enfants ! toujours enfants ! » Musset répond à Diderot :

    Oui, les premiers baisers, oui, les premiers serments
    Que deux êtres mortels échangèrent sur terre,
    Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents
          Sur un roc en poussière.

    Ils prirent à témoin de leur joie éphémère
    Un ciel toujours voilé qui change à tout moment,
    Et des astres sans nom que leur propre lumière
          Dévore incessamment.

    Tout mourait autour d’eux, l’oiseau dans le feuillage,
    La fleur entre leurs mains, l’insecte sous leurs pieds,
    La source desséchée où vacillait l’image
          De leurs traits oubliés.

    Et sur tous ces débris joignant leurs mains d’argile,
    Étourdis des éclairs d’un instant de plaisir,
    Ils croyaient échapper à cet Être immobile
          Qui regarde mourir !

    Insensés ! dit le sage.—Heureux ! dit le poète.
    Et quels tristes amours as-tu donc dans le cœur,
    Si le bruit du torrent te trouble et t’inquiète,
          Si le vent te fait peur ?

  . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    La foudre maintenant peut tomber sur ma tête,
    Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché ;
    Comme le matelot brisé par la tempête,
          Je m’y tiens attaché.

    Je ne veux rien savoir, ni si les champs fleurissent,
    Ni ce qu’il adviendra du simulacre humain,
    Ni si ces vastes cieux éclaireront demain
          Ce qu’ils ensevelissent.