Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/116

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Je me dis seulement : A cette heure, en ce lieu,
    Un jour, je fus aimé, j’aimais, elle était belle.
    J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
          Et je l’emporte à Dieu !

Les pièces que nous venons de passer en revue sont inséparables. Elles forment l’épilogue du drame romantique de Venise et de Paris. C’est la portion originale entre toutes de l’œuvre en vers de Musset, réserve faite pour le don Juan de Namouna et quelques morceaux des premiers recueils. Le Musset première manière avait subi le joug de la mode pour le rythme, le style, le décor, le choix des sujets. Il avait, en un mot, reçu du dehors une part de son inspiration. Dans le groupe de poèmes que dominent les Nuits, plus rien n’est donné aux influences étrangères. Ainsi que l’a dit Sainte-Beuve, « c’est du dedans que jaillit l’inspiration, la flamme qui colore, le souffle qui embaume la nature ». Le poète est tout entier à lui-même et au spectacle de l’univers, et « son charme consiste dans le mélange, dans l’alliance des deux sources d’impressions, c’est-à-dire d’une douleur si profonde et d’une âme si ouverte encore aux impressions vives. Ce poète blessé au cœur, et qui crie avec de si vrais sanglots, a des retours de jeunesse et comme des ivresses de printemps. Il se retrouve plus sensible qu’auparavant aux innombrables beautés de l’univers, à la verdure, aux fleurs, aux rayons du matin, aux chants des oiseaux, et il porte aussi frais qu’à quinze ans son bouquet de muguet et d’églantine. » Musset