Page:Barine - Alfred de Musset, 1893.djvu/172

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indifférence qui chagrine et décourage un écrivain, et le poète des Nuits en avait fait la dure expérience. Il y avait toujours eu des jeunes gens sachant Rolla par cœur. La foule avait presque oublié Musset, malgré l’éclat de ses débuts, parce qu’il s’était détaché après Rolla du groupe des écrivains novateurs. Il avait abjuré la forme romantique au moment où le romantisme triomphait : la presse ne s’occupa plus de lui, le gros public s’en désintéressa, et ses plus belles œuvres furent accueillies les unes après les autres par un silence indifférent. Henri Heine disait avec étonnement, en 1835 : « Parmi les gens du monde, il est aussi inconnu comme auteur que pourrait l’être un poète chinois ». Mme Jaubert, qui rapporte ce propos, ajoute que Heine disait vrai ; les salons parisiens, y compris le sien, ne connaissaient que la Ballade à la lune et l'Andalouse. Un soir, chez elle, Géruzez s’avisa de réciter devant une trentaine de personnes le duel de Don Paez :

    Comme on voit dans l’été, sur les herbes fauchées,
    Deux louves,….

L’auditoire écoutait avec surprise. Personne n’avait lu cela.

Comptant aussi peu dans le mouvement intellectuel et étant, d’autre part, assez détaché (un peu trop) des affaires publiques, Musset vieillissant a eu l’existence la plus vide. C’est à lui, entre tous les grands écrivains, qu’il conviendrait d’appliquer ce