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LE BOULANGISME ET STUREL SE RESSERRENT

ressait Thérèse de Nelles parce que, auprès de lui, elle ne doutait jamais de sa puissance. Et puis, après son premier feu de jeune bête émancipée, elle commençait à reconnaître que seule une vie régulière, avec un mari aimé, dans une monotonie douce et confiante, aurait fait son bonheur.

Le lendemain du dîner avec les Saint-Phlin, Sturel se plaignit à Mme de Nelles. Il prétendait que c’était impoli d’attaquer en sa présence Boulanger :

— Qu’on déchire Mme de Bonnemains, soit ! en voilà une qui nous gêne assez.

Thérèse écoutait avec stupeur cet enfant gâté :

— Vous dites, au résumé, qu’on ne peut pas être amoureux et faire de la politique ? Ne dois-je pas en conclure que votre choix est fait, car vous vous animez et vos yeux brillent quand vous parlez de politique ?

Il se tira fort mal de cette difficulté, puis il annonça son départ pour Jersey.

Sturel lui avait tour à tour donné toutes les sensations et celle que nous pouvons avoir d’un coup de poignard. Le cœur percé, elle le regarda et vit qu’il cherchait l’heure sur la pendule.

— Mon pauvre ami, disons-nous adieu.

Il y avait quelque chose de si irréparable dans l’accent de cette jeune femme qu’il la regretta, mais sans renoncer à son train. Avec un chagrin dont il goûtait l’angoisse, il la prit dans ses bras sans qu’elle résistât :

— Au moins, lui dit-il, vous ne me préférez personne, car, ajouta-t-il en essayant de l’embrasser, vous seriez impure de vous prêter à moi après avoir accueilli un autre.