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UN HASARD QUE TOUT NÉCESSITAIT

savait quelles étaient les voix acquises. Portalis et le Prince Napoléon eurent une entrevue chez une femme, Mme de Brimont, qui la leur avait ménagée. À peine les premières paroles de politesse échangées : « Eh bien ! » dit le prince, monsieur Portalis, que dites-vous de la situation ? — « Monseigneur, je n’en dis rien. » — Le prince le poussa assez brutalement, laissant entendre qu’il n’aimait pas les rendez-vous inutiles. « Êtes-vous homme à tuer votre cousin ? » lui dit en face Portalis. On entend qu’il s’agissait du prince impérial, seul obstacle entre l’Empire et le prince. Celui-ci sursauta. Peu après, il se leva et prit congé. « Votre gros homme, dit Portalis à Mme de Brimont, n’a dit que des banalités. » Au bout d’un quart d’heure, il descendait l’escalier. Au moment où il franchissait la porte, un bras se passa sous le sien : c’était le prince. « Comme vous y allez devant les femmes, dit-il ! » Et venant à son but : « Qu’allez-vous faire pour empêcher la Restauration ? » — « Ce n’est pas une question de presse, » dit Portalis, « c’est une question militaire ». — « J’ai plus d’hommes qu’on ne croit », répliqua le prince, « mais il faut qu’on s’entende. »

On fit des plans. On pensa à faire marcher de Lyon le général Bourbaki sur Paris. On s’arrêta à un coup de main renouvelé du général Mallet. Le prince croyait pouvoir disposer, dans ce pacte d’alliance entre la démocratie et les Napoléon, contre la monarchie, des éléments bonapartistes très nombreux encore dans l’armée : « La question », dit-il, « c’est qu’il n’y ait pas de blouses devant les régiments dont je peux disposer. L’armée tirerait sur les blouses et ne tirera pas sur l’uniforme. Votre