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« LA VRAIE RÉPUBLIQUE »

l’impôt, ce qu’on donne à la puissance mystérieuse de l’État, c’est-à-dire à la civilisation qu’on entretient sans la connaître. Tous ces humbles objets de nécessité, ce pain, cette cotonnade, cette chétive maison, on allait délibérément les transformer en quelque chose de supérieur même à l’État : l’argent de la pauvre mère Racadot va servir à contrôler l’État, la civilisation… C’est le petit-fils des serfs de Custines qui montre cette audace. Peu importent ses intentions secrètes et s’il veut simplement gagner de l’argent ; son acte est prodigieux.

Avec eux tous, nous sommes allés au tombeau de Napoléon ; quand leurs pensées se gonflaient, on craignait qu’il n’en arrivât comme des ballons coloriés qui amusent les enfants dans les promenades et qui, après vingt-quatre heures, tout flasques, deviennent de tristes vessies. Maintenant, quand Rœmerspacher réfléchit, quand Sturel rêve, quand Saint-Phlin s’enorgueillit de ses aïeux et croit qu’ils lui ont légué des devoirs, nous sommes rassurés : par Racadot, ces esprits vont passer à l’acte. Et même, par la nécessité de s’exprimer, ils auront davantage à exprimer.

Rœmerspacher, que désignait le succès de son article sur Taine, s’excusa sur son travail pour refuser la rédaction en chef. Sturel accepta. — Parmi les causes qui ont aidé à la formation de Sturel, l’une des plus importantes est l’action continue des femmes. Leur nature nerveuse se communiquait au jeune homme, et les alternatives de plaisir passionné et de mélancolie où elles le plaçaient l’affinaient en l’usant insensiblement. Sturel n’a que faire de ces amples loisirs dans lesquels une nature virile saurait