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LES DÉRACINÉS

Les affaires ne sont pas très actives en ce moment ; il est dû à M. Racadot des sommes importantes, c’est juste, mais il ne peut les réaliser sur-le-champ. Envoyez donc cette somme à votre fils et soyez persuadé, monsieur, que cela me coûte d’être obligée de vous tourmenter. »

— Vous avez compris ? dit-il, après avoir relu la lettre. Le père Racadot ne veut pas envoyer d’argent. Vous le voyez, je lui bâtis la fable la plus simple et la plus pressante. Ah ! ces avares de village !

Ils se turent.

— Ma fille, reprit-il après un silence, rentre dans mon cabinet : j’ai à causer avec Mouchefrin.

Comme la figure du gars Racadot, en quelques minutes, s’est modifiée ! Les insomnies et les soucis, ont fondu le gros campagnard. L’état nerveux, évidemment, est très mauvais. Lui tout à l’heure si allant, le voilà presque sur ses boulets.

— Antoine, je t’en supplie, il me faut de l’argent. Retourne rue Balzac. Décide Astiné ; il le faut.

— Elle n’a pas d’argent.

— Elle a ces turquoises, ces perles qui m’agacent, toujours à son col, à ses mains !

— Si tu savais comme elle a peu de goût à subventionner les journaux !…

— Hé ! nous ne connaissons d’argent qu’à elle. Il faut bien nous tourner vers cette Turque parfumée !

Il fit suivre son nom des injures les plus exagérées. Tout ce qu’il y a de fureur, de basse haine, d’exaspération chez l’amant repoussé qui viole une fille dédaigneuse, chez le malade enragé qui déchire ses bandages, éclatait sur son front aux veines gonflées, sur