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LES DÉRACINÉS

courbe d’amour ; pour elles et fort justement, il est ceci : la plus haute magistrature nationale. Elles le remercient de l’appui magnifique qu’il a donné aux formes successives de l’idéal français dans ce siècle. Oui, c’est le chef mystique, le voyant moderne, non pas le romantique, élégiaque et dramaturge, que ces grandes foules assistent.

On a justement défini l’Arc de Triomphe en plein jour : « une porte sur le vide ». Cette nuit-là, c’était une porte ouverte sur le néant et sur le mystère. « Je refuse l’oraison de tous les cultes. Je crois en Dieu », disait le poète dans son testament répandu à des millions d’exemplaires. Sur ce seuil, nous le voyions faisant parmi nous son dernier acte, son geste suprême. Il proclamait un inconnu auprès duquel il demandait qu’on intercédât. Voilà le mystère. Il donnait une précision grandiose à cette vérité qu’on voile : l’échec final de tous les efforts. Voilà le néant. « Eh quoi ! ne plus le voir, ce grand ami de Paris ! Il avait, paraît-il, des facultés plus qu’humaines. Si celui-là meurt ainsi, que sera-ce de moi, misérable ?… Que lui servent mes hommages ! J’aime mieux vivre obscur, infime, jouir de cette fête dans l’ombre des marronniers, que me défaire sous cette orgueilleuse décoration… »

Comme tous les cultes de la mort, ces funérailles exaltaient le sentiment de la vie. La grande idée que cette foule se faisait de ce cadavre, et qui disposait chacun à se trouver plus petit, charriait dans les veines une étrange ardeur. C’était beau comme les quais des grands ports, violent comme la marée trop odorante qui relève nos forces, nous remplit de désirs. Les bancs des Champs-Elysées, les ombres de