Page:Barrucand - La vie véritable du citoyen Jean Rossignol.djvu/86

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béquilles, et je me traînai ainsi pendant deux autres mois.

J’observe qu’on a fait courir le bruit que nous étions entrés le sabre à la main pour assassiner les matelots, tandis que c’est moi qui fus blessé le premier, et certes je n’avais pas plus que Bel-Air, aucune mauvaise intention, puisque je ne connaissais personne dans la maison, et même je n’y étais jamais entré ; à coup sûr, s’il y avait eu quelque dessein prémédité, j’aurais pris mes précautions, et j’aurais commencé par faire entrer Bourgeau, puisque je sus depuis qu’on avait cru le tuer, lui Bourgeau.

Celui qui eut le bras coupé fut porté au même hôpital que moi ; il fut guéri bien plus tôt, mais il resta estropié pour sa vie : il n’a plus qu’un bras. Nous eûmes conversation plusieurs fois ensemble étant à l’hôpital ; il m’avoua que Bourgeau s’était mal conduit, qu’il était entré chez la belle Isabeau, la veille, et qu’il y avait fait du dégât pour plus de cinquante écus en cassant la vaisselle. J’observe aussi que c’est le jour même de son arrivée qu’il alla seul chez son ancienne maîtresse ; la trouvant entre les bras d’un autre amant, il se porta à tous ses excès — et ce n’est que le lendemain de son séjour que notre malheureuse scène arriva.