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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

reur. Il faut savoir que j’étais un peu agitée ; je pensais à chaque minute que je verrais quelque chose d’affreux. Demain, je raconterai cela à tous, car c’est étrange ; j’aurais sans doute vu mieux, mais j’ai remué le miroir et les yeux. J’ai commencé la nouvelle année en rencontrant ces costumes et coiffures indéfiniment étranges et fantastiques.

Vive l’année 1874 en Russie et adieu à 1873 !


Jeudi 24 juin. — Tout cet hiver, je ne pouvais pousser un son ; j’étais au désespoir, je croyais avoir perdu la voix, et je me taisais et je rougissais quand on m’en parlait ; maintenant elle revient, ma voix, mon trésor, ma fortune ! Je la reçois les larmes aux yeux, et je me prosterne devant Dieu !… Je ne disais rien, mais j’étais cruellement chagrinée, je n’osais en parler, et j’ai prié Dieu et il m’a entendue !… Quel bonheur ! quel plaisir que de bien chanter ! on se croit toute-puissante, on se croit reine ! on est heureuse ! heureuse de son propre mérite. Ce n’est pas l’orgueil que donne l’or, ni le titre. On est plus qu’une femme, on se sent immortelle. On se détache de la terre, on monte au ciel ! Et tout ce monde qui est suspendu à vos lèvres, qui écoute votre chant comme une voix divine, qui est électrisé, enthousiasmé, ravi !… Vous les dominez tous !… Après la véritable royauté, c’est celle que l’on doit chercher. La royauté de la beauté ne vient qu’ensuite, car elle n’est pas toute-puissante sur tout le monde ; mais le chant enlève l’homme de la terre ; il plane dans un nuage pareil à celui dans lequel Vénus apparut à Énée !

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Nice 4 juillet. — Nous allons à l’église de Saint-