Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/61

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
JOURNAL

Pierre, les demoiselles seules. J’ai bien prié, agenouillée et le menton appuyé sur ma main très blanche et fine ; mais, me souvenant où j’étais, je cachais les mains et m’arrangeais de façon à m’enlaidir en guise de pénitence. Je suis de l’humeur d’hier, j’ai mis la robe et le chapeau de ma tante. En sortant de l’église, nous voyons A… passer en voiture et ôter son misérable chapeau niçois.

Dans mes dispositions, je ne peux rentrer chez moi ; je mène ma compagnie au couvent qui est en face de l’église et qui communique par une porte de derrière avec la maison habitée par les Sapogenikoff. Nous entrons dans le couvent, apportant sur nos ailes tant de joie et de folie que l’air sanctifié est remué, et les sœurs calmes, blanches, sont égayées et montrent derrière les portes des faces curieuses. Nous voyons la mère supérieure à travers sa double grille ; elle est depuis quarante ans au couvent… Misère ! De là, nous montons au parloir des pensionnaires, et je fais danser la sœur Thérèse. Elle veut me convertir et me vante le couvent, et moi, je veux aussi la convertir et lui vante le monde.

Nous sommes jusqu’au cou dans la religion catholique. Eh bien, je comprends la passion qu’on peut avoir pour les églises et couvents.


Mardi 6 juillet. — Rien ne se perd dans ce monde. Si on cesse d’aimer l’un, on porte immédiatement cette affection sur l’autre, même sans le savoir, et quand on n’aime personne, on se trompe. Si on n’aime pas un homme, c’est un chien ou un meuble, et avec la même force, seulement sous une autre forme. Si j’aimais, je voudrais être aimée comme j’aimerais, je ne souffrirais rien, pas même un mot dit par un autre. Un pa-