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journal de ma vie

auquel les canonniers et pointeurs s’estoint enivrés.

Apres la prise de ce fort les Turcs continuerent a leur ayse de ravitailler Bude, quy estoit leur principal dessein : et est certain que, sy on leur eut peu empescher ce ravitaillement, ce quy se fut peu faire sy nous nous fussions de bonne heure campés de l’autre costé du Danube, Bude ne pouvoit plus tenir. Le Rosworm en fut fort blasmé : mais il s’excusoit sur ce que, s’il eut passé de l’autre costé de la rivière, ou Bude est située, que les Turcs eussent infailliblement pris le poste ou nous estions logés et en suitte la ville de Pest sans difficulté, d’ou ils eussent avesques plus de commodité ravitaillé Bude qu’ils n’avoint fait par dela, et qu’elle ne pouvoit faillir d’estre secourue.

Les Turcs, pour prendre leur revanche du fort que nous avions voulu construire de leur costé, mirent vis a vis de nostre camp, sur un petit lieu relevé proche de Bude, qui y commande, vingt pieces de canon, desquelles ils tirerent en batterie par plusieurs jours dans nostre camp, non sans quelque dommage. Une apres-disnée que nous jouions a la prime avesques le general et deux autres, une volée de canon perça sa tente en deux endroits : elle estoit remarquable pour estre violette, ce quy les y fit souvent pointer leurs pieces. Une autre volée renversa la tente du jeune Schomberg, frere du mareschal dernier mort, comme je l’estois allé voir, et fusmes, quatorse personnes, ensevelis dessous, dont un nommé Boisrot fut bien blessé du mast quy cheut sur sa teste. En fin le Rosworm quitta le tertre ou il estoit logé, et se campa en une vallée prochaine, d’ou le canon ne le pouvoit plus