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journal de ma vie

dauphin, et Mr de Lorraine d’estre parrain de madame Elisabet, derniere fille de France, maintenant reine d’Angleterre[1]. Je partis un soir de la court, et veux dire une aventure quy me survint, quy, pour n’estre de grande consequence, est neammoins extravagante.

Il y avoit quattre ou cinq mois que, toutes les fois que je passois sur le petit pont (car en ce temps la le Pont Neuf n’estoit point fait), qu’une belle femme, lingere a l’enseigne des deux Anges, me faisoit de grandes reverences, et m’accompagnoit de la veue autant qu’elle pouvoit ; et comme j’eus pris garde a son action, je la regardois aussy, et la saluois avesques plus de soin. Il avint que, lors que j’arrivay de Fontainebleau a Paris, passant sur le petit pont, des qu’elle m’aperceut venir, elle se mit sur l’entrée de sa boutique, et me dit, comme je passois : « Monsieur, je suis votre servante tres humble. » Je luy rendis son salut, et, me retournant de temps en temps, je vis qu’elle me suyvoit de la veue aussy longtemps qu’elle pouvoit. J’avois mené un de mes laquais en poste, pour le renvoyer le soir mesme avesques des lettres pour Antragues et pour une autre dame a Fontainebleau. Je le fis lors descendre et donner son cheval au postillon pour le mener, et l’envoyay dire a cette jeune femme que, voyant la curiosité qu’elle avoit de me voir et de me saluer, sy elle desiroit une plus particuliere veue, j’offrois de la voir ou elle me le diroit.

  1. L’auteur commet ici une double erreur : Élisabeth de France, qui fut baptisée avec le dauphin, était l’aînée des filles du roi, et elle devint reine d’Espagne ; Henriette-Marie, qui fut reine d’Angleterre, naquit seulement en 1609.