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1613. mai.

en avertir, affin que vous y donniés ordre et que vous provoyiés particulierement a tirer Mr  Dolet hors de cette affaire dans laquelle on tachera de l’embarrasser. » Il me dit fort estonné : « Moy, Monsour, je ne pense point que Mr  Dolet conosca questo Magnat. Je ne me mesle point de cela. » « C’est bien fait, Monsieur, luy respondis je : je ne prendray en cette affaire que la part que vous m’y voudrés donner pour vous y servir, quy est mon seul but, et mon intention. » Il m’en remercia, et puis me quitta brusquement, et moy je m’en allay au reste du sermon et a vespres apres lesquelles la reine s’alla promener au parc, et moy je me mis dans le carrosse du premier escuyer pour l’y accompagner.

Comme nous nous promenions sur le canal, un des gens de Mr  le marquis d’Ancres vint au galop me trouver, et me prier de sa part de le venir trouver a l’heure mesme. Je me doutay bien que je luy avois mis la puce a l’oreille ; je dis neammoins tout haut : « C’est qu’il me veut gaigner mon argent. » Je montay sur le cheval de ce gentilhomme, et la reine me demandant ou j’allois, je luy dis que j’allois jouer avec Mr  le marquis. Il m’attendoit sur le haut de ce degré quy avance en la court en ovale, et comme je montay, il me mena dans la galerie de la reine qu’il ferma sur nous, puis marcha jusques au millieu de la galerie sans dire un mot : en fin se haussant il me dit : « Ha, Mr  Bassampier, mon bon amy, je suis perdu ; mes ennemis ont gaigné le dessus sur l’esprit de la reine pour me ruiner, » puis se mit a dire des blasphemes estranges, et pleuroit amerement. Je le laissay un peu se demener, puis je luy dis : « Monsieur, il n’est pas