Page:Baudeau - Première Introduction à la philosophie économique.djvu/49

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Nul homme quelconque ne peut rendre bien ce qui est mal, ne peut faire propriétaire celui qui ne l’est pas légitimement suivant la loi naturelle, par lui même ou par représentation[1]. [57] Nul assemblage d’hommes n’a ce pouvoir.

Ce sera toujours un délit d’usurper, un mal de concourir à la diminution de la masse des jouissances. Ce sera toujours une justice de contribuer au maintien, à la conservation de cette masse ; on sera toujours propriétaire en vertu de la loi naturelle, des biens qu’on se sera procurés (immédiatement ou par échange) en remplissant ce devoir ; à plus forte raison de ceux qu’on auroit créés ou surajoutés par bienfaisance à la masse générale.

Cette loi est universelle, et tôt ou tard les hommes reconnoîtront l’injustice et les inconvénients des exceptions qu’elle a reçues ; elle est la raison [58] de toutes les bonnes loix civiles ; et s’il étoit des volontés qui fussent directement contraires à cette maxime, en vain leur donneroit-on le nom de loix ; le tems et l’expérience les réduiroient bientôt à leur juste valeur.

Si en faisant telle ou telle action j’usurpe sur la propriété légitimement dévolue à autrui par la loi naturelle vraiement attributive des propriétés, il n’y a pas besoin d’autre loi[2] pour me condamner. Si je n’usurpe pas, quiconque m’empêcheroit ne garantiroit la propriété de nul autre. Mais il usurperoit ma liberté personnelle, la premiere, la plus chere de mes propriétés. Il feroit donc précisément le contraire de la loi qui me l’attribue, et de la justice qui [59] doit me la garantir envers et contre tous.

Si j’ai un peu insisté sur ce principe fondamental, c’est qu’il a été fort oublié, fort embrouillé et même fort combattu par des systêmes très ingénieux ; c’est qu’on a trop paru vouloir justifier par des raisons d’utilité apparente, des millions de commandements arbitraires opposés les uns aux autres, qui se sont combattus et

  1. Les Loix civiles qui ont réglé la transmission des propriétés, n’ont fait qu’indiquer la suite de ces représentations successives. Cette chaine, si elle n’avoit point été coupée par des usurpations, et si l’ordre naturel avoit toujours été suivi, nous feroit remonter jusqu’à celui qui le premier a défriché et mis en valeur ce terrain. Les Loix qui, à la suite d’une invasion injuste, ont changé en propriété la très longue possession, ont eu également leur motif dans les travaux du possesseur de bonne foi.
  2. Qu’on ne conclut point de tout ceci que je nie la nécessité des Loix civiles positives : j’indique la premiere de toutes les regles, à laquelle les hommes auront souvent malheureusement besoin d’être ramené.