Page:Baudelaire - L'Art romantique 1869.djvu/188

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let, ou M. Tout-le-monde emploie sa journée, et si madame Coquelet préfère les galanteries de l’huissier, son voisin, aux bonbons du droguiste, qui a été dans son temps un des plus enjoués danseurs de Tivoli. Ces mystères ne la tourmentent pas. Elle se complaît sur des hauteurs moins fréquentées que la rue des Lombards : elle aime les paysages terribles, rébarbatifs, ou ceux qui exhalent un charme monotone ; les rives bleues de l’Ionie ou les sables aveuglants du désert. Elle habite volontiers des appartements somptueusement ornés où circule la vapeur d’un parfum choisi. Ses personnages sont les dieux, les anges, le prêtre, le roi, l’amant, le riche, le pauvre, etc… Elle aime à ressusciter les villes défuntes, et à faire redire aux morts rajeunis leurs passions interrompues. Elle emprunte au poëme, non pas le mètre et la rime, mais la pompe ou l’énergie concise de son langage. Se débarrassant ainsi du tracas ordinaire des réalités présentes, elle poursuit plus librement son rêve de Beauté ; mais aussi elle risquerait fort, si elle n’était pas si souple et si obéissante, et fille d’un maître qui sait douer de vie tout ce qu’il veut regarder, de n’être pas assez visible et tangible. Enfin, pour laisser de côté la métaphore, la nouvelle du genre poétique gagne immensément en dignité ; elle a un ton plus noble, plus général ; mais elle est sujette à un grand danger, c’est de perdre beaucoup du côté de la réalité, ou magie de la vraisemblance. Et cependant, qui ne se rappelle le festin du Pharaon, et la danse des esclaves, et le retour de l’armée triom-