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surnaturelle. La magie les dupe et allume pour eux un faux bonheur et une fausse lumière ; tandis que, nous, poëtes et philosophes, qui avons régénéré notre âme par le travail successif et la contemplation, par l’exercice assidu de la volonté et la noblesse permanente de l’intention, nous avons créé à notre usage un jardin de vraie beauté. Confiants dans la parole qui dit que la foi transporte les montagnes, nous avons accompli le seul miracle dont Dieu nous ait octroyé la licence. »

Après de semblables paroles, il est difficile de croire que l’auteur des Fleurs du mal, malgré ses penchants sataniques, ait rendu de fréquentes visites aux paradis artificiels.

À l’étude sur le haschich succède l’étude sur l’opium, mais ici Baudelaire avait pour guide un livre singulier très-célèbre en Angleterre Confessions of English opium eater, qui a pour auteur de Quincey, helléniste distingué, écrivain supérieur, homme d’une respectabilité complète, qui a osé, avec une candeur tragique, faire, dans le pays du monde le plus roidi par le cant, l’aveu de sa passion pour l’opium, décrire cette passion, en représenter les phases, les intermittences, les rechutes, les combats, les enthousiasmes, les abattements, les extases et les fantasmagories suivies d’inexprimables angoisses. De Quincey, chose presque incroyable, était arrivé, en augmentant peu à peu la dose, à huit mille gouttes par jour ; ce qui ne l’empêcha pas de parvenir jusqu’à l’âge très-normal de soixante-quinze ans, car il ne mourut qu’au mois de décembre 1859 et fit attendre longtemps les médecins à qui, dans un accès d’humour, il avait moqueusement légué, comme curieux sujet d’expérience scientifique, son corps gorgé d’opium. Sa mauvaise habitude ne l’empêcha pas de publier une foule d’ouvrages de littérature et d’érudition où rien n’annonce la fatale influence de